Quand l'autisme est plus difficile pour les proches que pour toi même
J'ai été diagnostiquée tard. Comme la plupart des autistes en France. J'ai reçu mon diagnostique à 14 ans. Il faut savoir que l'autisme peut se diagnostiquer dès 2 ans, et que plus il est dépisté tôt, plus c'est bon l'enfant qui recevra une prise en charge adaptée, et pour la famille qui comprendra l'enfant au mieux dès le début. J'ai donc eu mon diagnostique assez tard, même si d'autres personnes doivent attendre d'avoir 40 ans pour savoir. Je veux écrire cet article pour ceux qui ont été également diagnostiqué tard, mais en faite, surtout pour leur proches. Cet article s'adresse aux familles concernées par un diagnostique d'autisme tardif. A ces parents qui ont du mal, peut être inconsciemment, à accepter.
Ma famille est passée par là. Je vais peut être rentrer un peu dans les détails perso, mais si ça peut aider des gens, alors je pense qu'il faut que le fasse. Ca me fera du bien de savoir que je peux aider.
A 14 ans, en 3e, j'ai donc reçu le diagnostique : autisme de type Asperger. Tout est aller assez vite, je dois dire (chose rarissime en matière d'autisme en France). Ca a commencé en septembre, à la rentrée. Un prof me sentait très différente des autres, moi même je me sentais complètement différente de tout le monde depuis mon plus jeune âge, mes parents ne comprenaient pas bien pourquoi je réagissais de telle ou telle manière dans certaines situations... La situation n'étais pas catastrophique du point de vue comportement, mes notes suivaient à l'école, y'avait pas vraiment de raison de "s'inquiéter". Et pourtant, je ne saurais trop dire comment c'est venu, mais l'autisme est arrivé sur la table. Et après quelques recherches sur internet, c'était une évidence : je correspondais point par point aux critères de diagnostique de l'autisme. En 6 mois, après avoir consulté différents spécialistes, le diagnostique "tombe" (je n'aime pas trop ce mot qui sonne comme très péjoratif). Je suis autiste.
Je voudrais vraiment insister sur le fait que ce diagnostique a été une délivrance pour moi. Ce n'étais pas quelque chose de terrible. Beaucoup de gens disaient à l'époque où on annonçait que j'étais autiste "oh ma pauvre". Non. J'étais heureuse, heureuse d'enfin savoir pourquoi. Pourquoi j'étais si différente, pourquoi je me sentais totalement décalée, pourquoi je devais constamment réfléchir pour faire les choses quand tout le monde le faisait de manière naturelle, pourquoi je faisais tout le temps des "boulettes sociales". Ce fut un soulagement.
Pour moi, en tout cas. Car j'ai rapidement compris que pour mes parents, ça allait être compliqué à accepter, ce diagnostique. Ils ont pourtant fait les démarches, ils m'ont accompagné, ils ont répondu aux questions... s'ils faisaient tout ça, je pensais qu'ils accepteraient le compte rendu du diagnostique. Mais non.
Déjà, dès le départ, personne ne prononçait le mot "autisme" à la maison. Comme si ça faisait peur. Chaque fois qu'on en parlait, on parlait de "mes problèmes". Jamais de "mon autisme". Les reproches en tout genre ont continué malgré le fait que la plupart des choses qu'on me reprochait était directement liées à mon autisme. J'avais obtenu la carte de priorité car les files d'attentes sont très inconfortables pour moi (bruit, monde, attente), et pourtant, jamais on ne l'utilisait même quand le supermarché était bondé. Il y avait toujours une bonne raison pour "ne pas s'afficher". Je me souviens même d'un jour où ma mère a dit à ma soeur "non mais on va pas aller à la caisse handicapé, elle a pas l'air handicapée..." en devenant toute rouge. Comme si mon autisme était une honte. Une telle honte qu'il fallait le cacher, absolument. Ne pas montrer que j'étais handicapée.
Alors pourquoi ? Pourquoi un tel déni. J'ai conscience que ça ne doit pas être facile à accepter. Surtout dans un cas comme le mien, où a priori à part quelques petites bizarreries et une grosse timidité, il n'y avait pas vraiment de problèmes de comportement chez moi. Avec le recul, 5 ans plus tard, j'ai les réponses. Enfin je pense les avoir. Aujourd'hui, j'ai 19 ans, et mes parents ont totalement accepté ce diagnostique. Il aura bien fallu 4 ans, 4 ans de souffrances pour moi, mais aujourd'hui, on prononce le mot autisme, on utilise ma carte de priorité, on arrête de me dire "fait un effort" quand on sait très bien que je fais déjà des efforts enoooormes. La suite va donc délivrer les réponses. Le pourquoi. J'espère surtout que ça va aider des parents dans le déni. Car ceux qui souffrent le plus de ce déni, ce sont les enfants. Les enfants soulagés d'avoir le diagnostique, et qui du coup sont 2 fois plus frustrés de recevoir des remarques désobligeantes de la part de leurs propres parents.
Pour comprendre pourquoi ce déni, il suffit de connaitre mon histoire. Toute petite, j'étais un enfant assez ordinaire. J'ai marché à 18 mois, parlé à 2 ans, j'ai eu un développement assez classique. Je ne parlais quasiment pas, et seulement à quelques personnes, mais on disait "oh elle est un peu timide, ça viendra avec le temps". A l'école maternelle, bien que je passais mes journées toute seule dans mon coin, j'ai appris à lire toute seule à 4 ans, j'ai su compter et calculer avant même de savoir colorier sans déborder. Très vite on a remarqué que j'avais une bonne mémoire, je connaissais tous les numéros de téléphones que je croisais, pareil pour les plaques d'immatriculation. Je ne vais pas vous faire un dessin, mais pour n'importe quel parent au monde, quand on voit ce genre de faculté chez un enfant en bas âge, il doit y avoir une part de fierté, et sans doute même de grand espoir : "et si mon enfant était brillant ?"
Et effectivement, la suite de mon parcours va donner raison à cette hypothèse. Scolairement, j'allais très vite, si vite que je m'ennuyais. Je comprenais tout, très vite, j'avais d'excellentes notes. Toute la famille était fière de moi. Enfin, fière de mes résultats scolaires, car faut pas oublier qu'à coté j'avais de grosses difficultés sociales. Les grands mères étaient toujours très heureuses de pouvoir dire "oh bah elle fera de grandes études et elle aura un beau métier". Rapidement, les profs et psy scolaires ont expliqué le décalage entre moi et mes paires par cette maturité et cette intelligence hors norme. Après un test de QI, tout cela se confirme : je suis surdouée (QI > 140). Donc, c'est normal si elle est comme si ou comme ça, elle est juste trop intelligente.
Jusqu'au collège, mes parents fondent donc de gros espoirs en moi. Ils ne me mettent aucune pression, non, vraiment aucune. Je tiens à le dire, ils ont toujours tenu à ce que je fasse uniquement ce que j'aime et ce que j'ai envie, jamais ils ne m'ont forcée à quoi que ce soit, jamais ils ne m'ont poussée. Mais ils me l'ont avoué : c'est vrai qu'on pensait vraiment, à cette époque, que tu ferais de brillantes études et que tu aurais un beau métier. J'étais jusque là très mature, très autonome par rapport à ce qu'on peut demander à un enfant de 8 ou 9 ans. Tout était quasiment parfait.
Mais au collège, les choses se sont corsées. En effet à cet âge, l'autisme se "voit" de plus en plus. L'adolescence n'est pas une période facile, mais pour un enfant autiste, ça l'est encore plus. La différence se creuse, on voit de plus en plus que je suis bizarre et en décalage. Et comme à cette époque, on ne savait pas encore que j'étais autiste, je vous laisse imaginer la tension qui régnait à la maison. "Mais pourquoi tu fais ci" "Fais des efforts" "Arrête de faire ça". On me reprochait toute la journée des choses que j'étais incapable de maitriser et de comprendre. Plus ça allait, plus la "brillance" que j'avais scolairement était ternie par mon comportement. C'est à ce moment que le diagnostique est arrivé, voilà pourquoi je pensais que ça serait une libération pour toute la famille. Mais comme je vous l'ai dit, il n'en fût rien. Et pendant 4 ans, mes parents ont fait comme si je n'étais pas autiste. Au lieu d'essayer de me comprendre, ils ont continué à me rabâcher des "fait des efforts" "mais c'est pas possible" "tu es égoïste".
Il leur a fallu 4 ans pour faire le deuil de l'enfant-presque-parfait qu'ils avaient eu pendant 11 ans. Je n'ai pas changé en réalité. J'ai toujours été autiste. Mais jusqu'au collège, mon Haut Potentiel Intellectuel masquait mon autisme. Il me permettait de compenser mes difficultés. J'ai réussi à tout cacher. J'ai réussi à me fondre dans le moule. Au collège, tout a explosé, car ce qu'on demande aux ados est beaucoup plus énorme socialement que ce qu'on demande aux enfants. Et je n'ai pas pu suivre.
L'avance au niveau de l'autonomie que j'avais jusqu'au milieu du collège s'est rapidement effacée : je n'ai pas régressé, simplement on en attend beaucoup plus d'un presque-adulte que d'un enfant. A 8 ans, je savais faire des pâtes quand on me disait de faire des pâtes, donc j'étais plus autonome que les enfants de mon âge qui ne savait pas les faire. A 15 ans, je savais toujours faire des pâtes, mais je les faisais uniquement si on me disais de les faire, comme quand j'avais 8 ans. Or à 15 ans, on attend d'un ado qu'il prépare le repas de lui même. J'avais donc les même capacités qu'avant, mais j'étais moins autonome. Le problème, c'est que mes parents ne l'ont pas compris. Ils n'ont donc pas compris pourquoi, en si peu de temps (et oui tout va si vite pendant l'adolescence), j'étais devenue moins autonome que quand j'étais petite. Alors que c'était juste leur exigences qui avaient augmentées.
Dans mon histoire, et c'est le cas de beaucoup d'autistes diagnostiqués tard, qui sont en plus HPI (Haut Potentiel Intellectuel), c'est mon enfance brillante qui m'a desservie. C'est ma capacité d'adaptation et de compensation énorme qui m'a joué un tour. Si je ne m'étais pas autant adaptée à un monde que je ne comprends pas étant petite, mes parents auraient toujours vu mes difficultés. J'aurais même sans doute eu mon diagnostique beaucoup plus tôt. Il leur aurait donc fallu moins de 4 ans pour accepter que je suis autiste, que j'ai des difficultés, que je suis handicapée. Car oui, l'autisme m'handicape énormément, et beaucoup plus à l'âge adulte que quand j'étais enfant (les attentes sociales sont beaucoup plus importante pour les adultes que pour les enfants).
D'ailleurs, s'ils ont désormais accepté totalement mon autisme dans le "quotidien", ils ont en revanche beaucoup plus de mal à comprendre mes nouvelles difficultés scolaires. Aujourd'hui, je suis à la fac, et pour faire court : j'en chie. Et ça, ils ne comprennent pas. Car j'ai toujours été 1ere de classe, j'ai eu mon bac mention très bien sans même réviser... Or ce qu'on nous demande à la fac, ce n'est plus d'apprendre un cours que le professeur a écrit au tableau. On nous demande de prendre en note un cours de 2h qui n'est pas structuré, dans un amphi bondé et bruyant, et le partiel sera une analyse ou une dissertation dans laquelle les connaissances du cours ne sont pas la principale chose évaluée. C'est extrêmement compliqué pour moi, mais ils n'ont pas l'air de réussir à comprendre à quel point c'est dur. Ma mémoire ne me sert plus à grand chose. Je suis constamment épuisée (voir mon article : "Tu as l’air fatiguée" : quand l’autisme épuise), et je n'arrive pas à répondre aux exigences scolaires de la fac. Je bénéficie d'aménagement pour ma scolarité : tiers temps, emploi du temps aménagé, dispense de certains cours, droit d'enregistrer, supports écrits des cours magistraux... tout cela est nouveau, car je n'en ai jamais eu besoin. Mes parents ne comprennent pas, comme si c'était honteux de bénéficier de tout cela.... tient, ça me rappelle 4 années en arrière quand c'était honteux d'utiliser ma carte de priorité ;) j'espère simplement qu'ils ne mettront pas 4 ans accepter, car d'ici là j'aurais certainement fini mes études !
Cet article est un peu long, mais j'espère vraiment qu'il aidera des parents ou des frères et soeurs à accepter le diagnostique. Car votre enfant a toujours été autiste. Simplement, avant, il arrivait peut être à survivre en compensant ses difficultés. Avant, la société n'en attendait pas autant de lui. Avant, il était moins épuisé par tous ces efforts. Mais après 20 ans d'efforts quotidien pour réussir à rentrer dans le moule, ça devient de moins en moins facile de s'adapter.
Le meilleur conseil que je puisse vous donner, c'est de vous renseigner sur l'autisme : lisez des livres, allez sur internet, lisez des blogs témoignages. Vous en apprendrez certainement beaucoup sur la façon dont fonctionne votre enfant. Plus vous le comprendrez, plus vous réussirez à avoir le bon comportement face à ses difficultés, et moins il souffrira. Car il n'y a rien de plus dur que de ne pas être compris par ses propres parents. Un "mais tu es égoïste !" alors qu'on n'arrive tout simplement pas à contrôler ses émotions est la chose qui fait le plus mal au coeur. Un "fait des efforts" alors que tu ne fais que ça de toute ta journée, cela te brise totalement.
N'oubliez pas : l'autisme n'est pas une excuse, mais une explication
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