Pourquoi toujours nous cupabliser ?
C'est un sentiment qui revient souvent, chez les personnes porteuses d'un handicap invisible, et en particulier chez les autistes. La culpabilité. Le problème, c'est que je ne culpabilise pas d'être autiste. Ce sont les autres qui me font culpabiliser d'être autiste. Enfin, plus précisément, ils me font par exemple culpabiliser de ne rien aimer manger. Ou de ne pas supporter le bruit. Ou de me balancer en public, ce qui fou la honte. Mais au final, cela revient au même : ce sont des comportements que je ne peux pas maitriser, à cause de mon handicap. Ce n'est pas un choix. Pas un trait de caractère. C'est un handicap que je subis encore plus que toi. Cela revient donc à me faire culpabiliser d'être autiste.
On va encore une fois revenir à la même chose : le problème, c'est que notre handicap est invisible. Les gens s'imaginent donc qu'il suffit de faire un effort pour pouvoir le dépasser. Erreur. Quand je ne supporte pas que l'on me touche, et que donc mes parents ne peuvent me faire de câlin, que ma sœur n'a jamais pu me faire de bisous, ce n'est pas en “faisant un effort” que je vais pouvoir réussir à le faire. Pourquoi alors me faire la remarque ? Pourquoi me dire « pffff t'es pas gentille. » Le fait que je refuse un câlin n'a rien à voir avec de la gentillesse. Je ne peux juste pas surmonter ce câlin, qui est pour moi une épreuve plus difficile à surmonter qu'une journée à travailler au soleil sous 40°C. Reprocherait-on à un paraplégique de se déplacer en fauteuil roulant ? Lui dirait-on « oh tu fais chier, on va devoir attendre l'ascenseur alors que ça irait plus vite par les escaliers, t'es pas gentil » ? La réponse est non. Parce que son handicap est visible, on se rend bien compte que la personne n 'y est pour rien, et que même avec tous les efforts du monde elle ne pourra pas monter un escalier avec son fauteuil roulant.
Alors pourquoi serait-on autorisé à me culpabiliser moi ? Sous prétexte que mon handicap ne se voit pas... combien de fois ma mère m'a reproché de m'enfuir en la voyant s'approcher pour me faire un câlin Combien de fois suis-je partie en colère dans ma chambre après qu'elle m'ait fait (enfin, plutôt “volé”) un bisou ? Beaucoup trop. Beaucoup, beaucoup trop. Et le pire, c'est qu'on ose après ça me faire un reproche : « tu es méchante ».
Non Maman. Je ne suis pas méchante. Je suis handicapée. Je n'ai pas choisi. Si il y a bien 1 personne ici qui pourrait faire un reproche, c'est moi : c'est toi qui m'a conçu. C'est à cause de toi que je suis autiste. Je pourrais le dire. Mais ça n'aurait aucun sens. Personne ne choisi les gènes de son enfant. Je ne suis pas autiste à cause de l'éducation que l'on m'a donné, ni à cause de mon enfance, non, je suis autiste à cause des gènes qui forment mon ADN. Ca serait donc très déplacé de rétorquer cela à mes parents. Alors je ne le fais pas.
En revanche, ce qui serait pertinent, ce serait que je réponde ceci. Voilà ce que j'ai envie de te dire, Maman (et toutes les personnes qui une fois dans leur vie m'ont reproché quelque chose que je ne pouvais pas maîtriser à cause de mon handicap) :
« Non Maman. C'est toi qui es méchante. Ne pas me faire un câlin ne va pas te tuer. Ne pas me faire un câlin ne va pas te plonger dans une crise d'angoisse. Ne pas me faire de câlin ne va pas te faire mal. Ne pas me faire de câlin va peut être à la limite, te rendre un peu triste. Peut être même très triste, un soir dans ton lit en y repensant, en repensant à toute mon enfance, en te disant que tu n'as jamais pu me faire de vrai câlin, tes larmes couleront peut être à grand flot. Peut être qu'à ce moment là tu me détesteras, ou que tu détesteras la vie, ou le Dieu qui nous a conçu. Mais ton mal de l'instant ne sera rien comparé à ce que je ressens quand tu me fais un câlin Tu ne ressentiras jamais le stress, l'inconfort, la sensation que je ne saurais décrire, que je ressens lorsque l'on me touche. Et ton mal sera encore moins quelque chose, comparé à la douleur que je ressens quand tu m'assènes un « t'es pas gentille ». Car cela me transperce le cœur, une fois de plus. Pourquoi ne cherches-tu pas à comprendre ce que je ressens ? Pourquoi vouloir être égoïste, et chercher à combler ton bonheur en me forçant à me câliner ? Non Maman, je ne suis pas méchante, et ce n'est pas moi qui suis égoïste. Car ce n'est pas la personne handicapée qui est égoïste quand elle ne peut pas faire quelque chose à cause de son handicap. C'est la personne qui lui fait ce reproche qui l'est. Je suis autiste. Je n'ai pas choisi. Peut être même que je n'aurais jamais voulu l'être. Et pourtant, c'est comme ça. Ca me fait mal que l'on me touche, ça me fait encore plus mal qu'on me le reproche, car ce n'est pas un choix, pas quelque chose que je peux maîtriser. Mais Maman, sache que ça me fait encore plus mal de savoir que je ne peux pas te faire de câlin J'aimerais être comme tout le monde, et te montrer de l'affection. Oui, je suis profondément triste de ne pas pouvoir te donner de l'amour physique, car je sais que tu en souffres, et le fait que les autistes n'ont pas d'empathie est un mythe : je n'aime pas te voir souffrir. Simplement, je ne peux pas faire autrement sur ce point. Oui, je montre mon affection autrement, et alors ? Est-ce si terrible de préférer offrir des cadeaux que de faire un bisous ? Tu me reproches toujours de t'offrir des cadeaux trop chers, que ce n'est pas aux enfants d'offrir des cadeaux aux parents. Ne t'es-tu jamais dit que c'était mon moyen à moi de te montrer mon amour ? Mon seul moyen à moi... Je ne cherche pas à t'acheter avec mes cadeaux, ou à compenser quoi que ce soit : ça me fait juste plaisir, ça me procure juste du bonheur, autant que toi ça te procure du bonheur de faire un câlin à ma sœur. Pourquoi me reprocher quelque chose que je ne maîtrise pas et que je n'ai pas choisi ? Beaucoup de questions, certainement aucune réponse, car il ne peut pas y avoir de bonne réponse. Ce n'est pas de ta faute. Je pense simplement que personne n'arrive à prendre conscience que notre autisme est un handicap. C'est la faute de cette foutue invisibilité. Oui, tout serait tellement plus simple si j'étais née aveugle ou sourde. Mais je suis autiste, et tous mes comportements étranges, incompréhensibles, passent pour de la méchanceté ou de la paresse.
Maman, si toi tu ne me comprend pas, comment pourrais-je espérer qu'un jour, le monde autour de moi me comprenne ? »
Ta fille qui t'aime plus que tout. ❤️
Evidement, cette lettre qui ici concerne un récent “accrochage” familiale à cause d'un câlin, est totalement transposable à tous les obstacles que l'on rencontre au quotidien : le fait que j'oublie de dire bonjour le matin ou au revoir le soir, que je ne range pas assez ma chambre, que je ne prends aucune initiative, enfin bref, toutes les fois où l'on me sort un t'es pas gentille ou un fait un effort...
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 18 autres membres