Autisme et rentrée : une épreuve plus dure qu'il n'y parait
Ca y est, les vacances touchent à leur fin, la rentrée arrive ! Pour la plupart des étudiants, même si la fin des vacances est toujours quelque chose de triste, la rentrée sonne comme un évènement assez positif : retrouver ses camarades, la fac, les soirées étudiantes qui vont avec, recommencer de nouveaux projets... Passé les petites galères pour trouver un appartement, refaire son pass navigo et vider le disque dur de son ordinateur, la nouvelle année commencera dans la joie et l'excitation.
Pour moi, la rentrée a un tout autre visage. Je peux la comparer à un parcours du combattant. Premièrement, administrativement. J'ai d'énormes difficultés avec les formulaires, tout ce qui est administratif, les inscriptions, les papiers... Il faut que je planifie tout ce que j'ai à faire, si possible avec l'aide de quelqu'un, pour pouvoir m'en sortir sans rien oublier, et surtout sans craquer.
Le dire ou ne pas le dire, telle est la question...
Une fois le studio trouvé, l'ordinateur prêt, l'attestation de carte vitale et d'assurance civile imprimées, le plus gros semble fait. Et pourtant, le premier gros obstacle à franchir va se présenter, et il peut vous paraitre étonnant : cocher ou non la case "étudiant handicapé" dans le formulaire d'inscription de l'Université. La réponse la plus logique semblerait découler du raisonnement suivant : "ben tu es autiste, reconnue handicapée par la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), alors évidemment que tu dois cocher cette case !" Oui, effectivement. Sauf que je suis autiste, l'une des minorité les plus discriminées en France (si ce n'est la plus discriminée, mais je suis pas la pour faire un concours de victimisation). Dans mon pays, "le Pays des Droits de l'Homme", 80% des enfants et adolescents comme moi sont refusés à l'école de la République. 90% seront au chômage plus tard. Annoncer au gens (du point de vue administratif) que je suis autiste, m'apporte dans la majorité des cas plus d'ennuis que de choses positives. De plus, dans ce formulaire, on me propose les choix handicapé "moteur" "sensoriel" ou "mental". Or, l'autisme ne rentre dans aucune de ces cases. Je ne suis pas handicapée mentale, je me refuse de cocher cette case, sous prétexte que "c'est celle qui se rapproche le plus". C'est encore une fois une petite chose, mais tout de même un facteur de plus qui contribue au malêtre des autistes dans notre société.
L'inscription terminée, il faut batailler pour obtenir la date précise de rentrée, l'emploi du temps, pour que je puisse prévoir les choses et que cela se passe au mieux malgré mon besoin absolu de tout contrôler et d'installer des routines. Pour ce dernier point, va falloir s'habituer à ce que tout change tout le temps et au dernier moment...
Et maintenant, que faire ? Le dire à mes camarades ? Ne pas le dire ? Le dire à certains, pas à d'autres ? Faire un speech devant la promos pour expliquer au mieux mon handicap et ainsi qu'on puisse me comprendre sans me rejeter ? En parler à mes profs ? Ne rien dire ? Je n'ai pas de réponse. Je n'ai pas la bonne réponse en tout cas. Ces questions ont hanté ma 1ere année d'étude. J'ai pris l'option de ne pas le dire. J'ai préféré attendre, observer, comme toujours. J'ai réussi à sympathiser avec une camarade. Sa soeur est TED (personne souffrant de Troubles Envahissant du Développement, proche de l'autisme), encore une fois ce sont les personnes confrontées à la différence qui sont les plus tolérants. J'ai fini par lui révéler mon autisme en milieu d'année, car c'est devenu une personne de confiance. Je l'ai aussi dit à quelques profs qui semblaient très tolérants et ouverts. Je ne regrette pas mon choix, mais ce fut quand même encore une fois une épreuve très difficile.
Le coeur du problème : le retour à la sociabilisation extrême
Mais la difficulté, le vrai parcours du combattant est autre part. "Le dire" ou "ne pas le dire" est au final seulement difficile moralement, c'est seulement un choix, qui est compliqué à vivre sur le moment. Le vrai obstacle, c'est le retour à la société. C'est le monde. Le bruit. Les gens.
Il faut resituer : je viens de passer 4 mois de vacances (oui les vacances à la fac c'est long), 4 mois que j'ai passée plutôt seule qu'accompagnée. Ben oui malgré tout mes efforts du monde, mes rares amis du lycée, je les ai tous perdu de vue. Arrivée à cette fin de 1ere année de fac, je ne vois plus personne que je connaissais du lycée, et mes quelques amis de la fac n'habitent pas vraiment proche de chez moi. Je viens donc de passer 4 mois où les seules personnes que j'ai vu sont mes parents, mon frère, les quelques surfeurs que je vois à l'eau de temps en temps, les caissières du supermarché quand j'ai du être contrainte de faire les courses 2 ou 3 fois dans l'été... Cela me rend triste, car je n'aime pas être seule. Mais le vrai problème, c'est que je perds beaucoup au niveau de mes capacités sociales. Déjà qu'elles sont assez limitées du fait de mon autisme, si en plus je ne "pratique pas", je perds tout ce que j'ai appris. Mes capacités sociales sont en effet comme les muscles d'un sportifs : s'il arrête le sport, il perd ses muscles. C'est pareil pour moi, mais avec dire bonjour, s'intéresser aux autres, avoir une conversation avec un ami etc. J'ai aussi pris l'habitude pendant ces 4 mois de vivre dans le calme, sans stress.
La rentrée va donc être comme une grosse claque dans ma gueule. Je viens de passer 4 mois quasiment exclusivement seule (malgré moi, j'insiste), et là je vais devoir re-côtoyer des gens tous les jours, 6h par jour, tout en compensant mon autisme pour ne pas que cela se voit (puisque seule 4 personnes dans cette fac sont au courant), pour ne pas passer pour une totale excentrique. Je vais devoir feinter, tout donner, penser à adopter le bon comportement (la bonne posture, les bonnes réactions, regarder les gens etc.), ne pas stéréotyper en public (les stéréotypies sont des comportements qu'adoptent les autistes en situation de stress pour se relaxer : se balancer, faire tourner ses mains, battre des bras...). Je vais devoir me réhabituer à subir le bruit, le contact physique dans les couloirs et dans les transports, à devoir me concentrer jusqu'à 8h de cours par jour (souvenez vous de ma capacité de concentration légendaire...). Toutes ces petites choses, auxquelles vous ne pensez même pas. Je vais passer mon temps à tout cela. A repenser de devoir dire bonjour quand je croise quelqu'un, regarder dans les yeux, qui vouvoyer, qui tutoyer, passer le repas du midi avec d'autres étudiants... N'avoir aucune pause sociale.
Je ne sais pas si c'est facile de s'imaginer la situation dans laquelle me met la rentrée. Mais pour résumer, je peux dire que le mois de septembre, et sans doute le début du mois d'octobre va littéralement me vider de toute mon énergie. Car en plus de tout ça, il y a tout de même des cours à apprendre, et un semestre à valider. A tout cela s'ajoute mes problèmes de concentration, d'organisation, mon stress permanent quand il y a de nouvelles choses à faire (par exemple un exposé, ou un projet) ou des emplois du temps qui changent. La rentrée est un calvaire social et sensoriel. Je ne parlerai pas également des problèmes de moqueries et de harcèlement qui continuent à l'université (oui oui même après 20 ans ça continue), car il n'y a pas vraiment de commentaires à faire sur ces comportements enfantins, même si cela ajoute un défi de plus à gérer à la rentrée.
Que faire pour aider une élève (ou étudiant) autiste ?
- Si vous êtes vous même étudiant (ou élève) :
Premièrement, gardez à l'esprit que la plupart des handicaps ne se voient pas. Ne jugez donc pas trop vite quelqu'un qui paraitrait différent, excentrique, totalement décalé. Apprenez à le connaitre, sans vous moquer.
Si vous savez qu'un élève est autiste dans la promo, ne le rejetez pas, au contraire. Il faut l'aider à s'intégrer, à être dans le groupe. Il en faut pas qu'il devienne un élève satellite (l'élève qui tourne autour du groupe classe, sans jamais y être intégré). Aidez-le à participer au maximum aux interactions, invitez-le à manger avec vous le midi. Au début, il pourra toujours paraitre un peu distant, il déclinera sans doute les invitations. Ne relâchez pas, continuez de l'inciter, sans le forcer bien sur. Un autiste observe énormément. Un autiste a un temps d'adaptation très long. Et ce n'est pas parce qu'il refuse de manger avec vous en septembre, que cela sera le cas toute l'année. Il lui faut peut être simplement 1 ou 2 mois d'observation avant de pouvoir se fondre dans le groupe.
En classe, vous pouvez aussi veiller à ce qu'il se concentre, le recentrer sur le cours quand vous sentez qu'il regarde ailleurs, ou qu'il est aspiré par un objet ou quelque chose qui se passe par la fenêtre. Se déplacer avec lui lors des changements de salle, surtout s'il y a un changement de bâtiment. Ce sont des choses très stressante pour une personne autiste. De la même manière, s'il a un RDV, ou quelque chose qui sort de la routine, et qui sort de ce que fait le groupe classe, n'hésitez pas lui demander si il veut que vous l'accompagniez (jusqu'à la porte du bureau par exemple). Cela le rassurera beaucoup. En effet déjà qu'un RDV avec le responsable de la formation par exemple, va beaucoup le stresser, si en plus il n'a jamais été dans le bureau concerné, qu'il ne connait pas la personne qu'il a rencontré, y aller tout seul va tellement l'angoisser qu'il pourrait très bien ne pas aller du tout à ce rendez vous.
Mais surtout, la chose à faire est de communiquer avec lui. Lui demander, s'il souhaite ou non qu'on l'aide. Par exemple, moi, j'aime quand mon voisin de classe me dit "Eh Sasha, suis le cours" quand je regarde par la fenêtre. Ca me ramène, ça me permet de ne pas perdre trop trop de cours. Certains autistes ne vont pas supporters, et vont mal le prendre. Voilà pourquoi la communication est la clef (oui même avec une personne autiste !!).
- Si vous êtes professeur ou responsable de formation
Avoir un élève autiste dans sa classe peut parfois paraitre déroutant. Surtout si on ne sait pas qu'il est autiste, je vous l'accorde. Un élève qui ne semble pas toujours s'intéresser au cours, qu'on voit souvent dormir sur sa table (dû à notre grande fatigabilité), qui semble totalement à l'ouest quand on lui parle, qui ne vous regarde jamais... bref, le genre d'élève dont on n'a pas trop envie de s'occuper tant il ne semble pas intéressé par ce qu'il fait. Sachez que ces comportements sont involontaires, et nous le regrettons beaucoup. J'aimerai pouvoir me concentrer, j'aimerai pouvoir suivre le cours sans dormir, j'aimerai savoir vous regarder quand vous me parlez... mais ce n'est pas forcément possible pour moi.
Avoir la confiance d'un ou plusieurs professeur que j'apprécie est extrêmement important pour moi. Cela me rassure beaucoup. N'hésitez pas à venir me parler, pour prendre des nouvelles, pour savoir comment je vis l'année, les cours, s'il y a des choses qu'on l'on pourrait améliorer. Je vous l'accorde, il faut souvent me tirer les vers du nez, et ça peut devenir assez pénible pour le prof qui essaye d'améliorer les choses et de prendre des nouvelles de l'élève, mais sachez que lorsque vous vous souciez de moi, même si cela ne voit pas et qu'on a l'impression que cette conversation m'ennuie totalement, ce n'est pas du tout le cas. J'aime avoir cette conversation, j'aimerai pouvoir vous dire énormément de choses, j'aimerai peut être même vous criez que cela ne va pas du tout (ou que cela va très bien), simplement il me faut du temps. Cela ne vient pas tout de suite. J'ai du mal à trouver mes mots, j'ai du mal à organiser mes idées. Il ne faut pas s'arrêter après avoir commencé, il faut continuer, me poser des questions, le plus possibles, pour que cela soit plus facile pour moi. Il m'est beaucoup plus simple de répondre à une question, que de développer par moi même ma pensée. A titre d'exemple, j'ai eu une période assez compliquée l'année dernière et un professeur était venu me parler. Après 2/3 questions, et des réponses sans doutes trop brèves de ma part, il m'avait dit "bon et bien si tu ne souhaites pas parler je vais te laisser, ce n'est pas grave". Mais dans ma tête, j'étais là "Non s'il te plait, continue de me parler, je ne sais juste pas comment m'exprimer, continue de me poser des questions, continue de te soucier de moi, ne pars, j'en ai besoin". J'étais juste totalement incapable d'exprimer cela à l'oral. Je pense que ça résume bien la relation et le quiproquo qu'il peut y avoir quand on se soucie d'une personne autiste. N'hésitez pas à communique par mail également, c'est beaucoup, beaucoup plus simple pour nous de parler à l'écrit. Vous aurez même certainement le droit à des romans !
De la même manière que pour les conseils aux étudiants, si vous voyez l'étudiant autiste totalement ailleurs, qui regarde pas la fenêtre, qui joue avec sa gomme ou qui est fasciné par une lumière, bref, qui fait tout sauf suivre le cours ou faire l'exercice donné, aidez le à revenir à la réalité du cours, ramenez le de ses pensées, fermez le rideau qui donne sur l'extérieur si c'est possible, essayer de rester avec lui pour l'aider à se concentrer sur l'exercice qu'il doit faire. Cela lui sera évidement d'une grande aide.
J'espère que cet article vous aura fait prendre conscience qu'une simple étape de l'année comme la rentrée peut devenir un vrai calvaire pour les personnes atteintes d'autisme. Et encore, il y a beaucoup de chose que je n'ai pas détaillé ou dont je n'ai pas parlé. Gardez également en mémoire que cette année encore, les vacances dureront toute l'année pour 80 000 enfants autistes (4 enfants autistes sur 5) qui ne seront pas acceptés à l'école de la République, alors que chez nos voisins Italiens, 100% sont scolarisé en établissement classique. Il est grand temps que les mentalités changent et que chaque enfants bénéficient des même droit à l'éducation et à l'instruction.
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