The Blue World - My life with autism

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"Tu as l'air fatiguée" : quand l'autisme épuise

"Tu as l'air fatiguée"

 

Cette petite phrase, tout le monde a certainement déjà dû l'entendre, de la part d'un parent ou d'un ami après une semaine de boulot bien chargée. Tout comme vous, on me la dit. Souvent. Quasiment chaque fois que je croise quelqu'un.

 

 

 

J'ai l'air fatiguée, car je suis fatiguée.

 

 

 

Oui, c'est aussi simple que cela. J'ai l'air fatiguée car je suis fatiguée. L'autisme m'épuise. Enfin, non, en réalité, ce n'est pas "l'autisme" qui m'épuise, mais plutôt "les conséquences de l'autisme" qui m'épuisent. Quand je suis dans ma chambre, seule, je ne sens pas que je suis autiste. L'autisme ne me fatigue donc pas. Sauf qu'au quotidien, je ne peux pas me cantonner à rester enfermée dans ma chambre. Déjà, parce que je ne supporterais pas, j'ai besoin de bouger de sortir. Et puis parce qu'il y a la vie, aussi. Faire les courses, aller en cours...

 

J'ai l'air fatiguée, car chaque petite chose du quotidien me demande 4 fois plus d'énergie que toi. Chaque petite chose que tu fais, sans même penser à les faire, ces choses que tu fais automatiquement, moi je dois penser, planifier, pour réussir à les faire.

 

Les exemples concrets seront certainement plus parlants.

 

Prenons par exemple, une journée de cours.

 

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Déjà, le matin, il y a les transports. Le bus, le métro. Il  n'y a certainement rien de plus fatigant pour moi. Les transports en commun, c'est avant tout du bruit. Mes oreilles captent le moindre petit bruit qui m'entoure, j'entends chaque pas de chaque personne dans le couloir, j'entends chaque roue de la rame sur les rails, je capte tous les mots de toutes les conversations des dizaines de personnes présentes à ce moment précis. Tout cela, mes oreilles le captent, de manière égale. Je n'entends pas plus la voix qui annonce que le train a du retard en raison d'un incident voyageur que le bruit de l'éternuement du SDF qui fait la manche sur son carton. Chaque son est capté de manière égal, tout se mélange dans ma tête, et au final je n'entends qu'un brouhaha sans fin. Et si je veux vraiment comprendre ce qui se dit dans les haut parleurs, je dois faire un effort considérable pour essayer de filtrer ce qu'il y a tout autour. Je vous laisse imaginer l'énergie que cela me coûte de passer ne serait-ce qu'une demi-heure dans les transports. Et je ne parle même pas des jours où le trafic est perturbé, ce qui fait que je vais être en retard sur mon horaire, voire pire, que je vais devoir changer d'itinéraire pour arriver à bon port. Ces jours là, j'arrive en cours tellement épuisée par le voyage que je m'endors immédiatement.

 

Arrivée à la fac, avec déjà la moitié de mon énergie épuisée pour venir, j'ai généralement quelques instants de calme. J'arrive souvent assez tôt, pour être sûre de ne pas être en retard. A cette heure là, il n'y a pas grand monde dans le bâtiment. Je peux me régénérer un peu avant de devoir reprendre mon parcours du combattant.

 

8h50, c'est le rush. Tout le monde arrive. En même temps. Là, il faut dire bonjour à tout le monde. Anodin pour n'importe qui, branle-bas de combat pour moi. Il faut faire des bises, des bises et encore des bises. Ne pas se tromper de coté, dire en même temps "salut X", ce qui implique également de reconnaître le visage de la personne, mais aussi se souvenir de son prénom. Ne pas se tromper aussi, car il faut faire la bise uniquement aux étudiants et pas aux profs. Tout cela, je dois le penser, le planifier, et généralement je n'ai pas beaucoup de temps pour réfléchir, il faut aller vite, et surtout ne pas se tromper. Encore de l'énergie dépensée. Il n'est même pas encore 9h.

 

Le cours commence. Là encore, il faut filtrer le bruit de la promo qui n'en a pas grand chose à faire de ce cours et qui parle inlassablement pendant 2h. Si je veux entendre et comprendre ce que dit le prof, je dois énormément me concentrer, et lire sur les lèvres. Épuisant. Je dois aussi me battre contre moi même, car j'ai une capacité de concentration très limitée. 1/4 d'heure, pour un cours que je n'aime pas, 50 minutes pour quelque chose que j'aime bien. Passé ces délais, mon esprit divague, mon attention est attirée par tout ce qui bouge autour de moi, je n'arrive plus à me concentrer sur ce que dis le prof, j'ai besoin de bouger, de sortir prendre l'air. Il me faudra encore énormément d'énergie pour réussir à capter quelques concepts par-ci par-là dans le cours. Au bout d'une heure et quart, impossible de tenir plus : je m'endors inévitablement sur ma table. Sommeil profond, quasiment instantanément. Je ne peux pas lutter, mon corps n'a plus d'énergie : il est 10h15.

 

11h, fin du cours. Avec un peu de chance, je me réveille quand tout le monde sort de la salle dans un bruit ahurissant. Sinon, je resterais là. Pas une personne pour réveiller, à part peut être le prof qui prend la salle après notre cours. La honte, une nouvelle fois.

 

13h c'est l'heure de la pause. Enfin, la pause pour les autres, ça veut dire calvaire pour moi. Pour les étudiants, la pause midi signifie détente, et qui dit détente dit parler. Sans cesse. Fort. Si je ne trouve pas de salle libre, au calme, je vais devoir affronter 1h de bruit pendant que je mange. Je n'arrive quasiment plus à tenir debout, et il me reste encore 4h de cours cet après midi.

 

Rebelote pour les cours de 14h à 18h. Le même schéma que le matin. A ceci près qu'en plus, le soir, après 3h de cours, mon esprit est comme un lion en cage. Malgré l'épuisement, j'ai besoin de sortir, de bouger, je n'en peux plus d'être enfermée. C'est une réelle souffrance physique. Il faut que je sorte de celle salle. Quitte à m'écrouler dehors, sous la pluie, j'ai besoin de prendre l'air. Je ne peux plus tenir.

 

18h, c'est enfin fini. Pour les cours, du moins. Il me reste encore à affronter les transports au retour, et surtout, surtout ne pas m'endormir dans la rame, car sinon je ne me réveillerais pas à ma station, et je pourrais rester des heures à dormir dans ce métro. Et ça serait la panique totale à mon réveil. Je lutte donc, encore, contre la fatigue, pour arriver chez moi sans encombres. J'espère du plus profond de mon coeur que je ne vais croiser personne que je connais, sinon le contact social risque de m'achever.

 

Chez moi, la journée n'est pas terminée. Il faut encore que je planifie ma soirée. A quelle heure je dois faire à manger, à quelle heure je mange, qu'est ce que je dois préparer, ne pas oublier de ranger, passer l'éponge, faire la vaisselle, essuyer... Tout cela, je le note sur un papier, pour ne rien oublier. Sinon, je ne sais pas m'organiser. Toutes ces petites tâches vont encore puiser dans mon énergie un peu plus. Il faudra encore que je travaille un peu mes cours, que je fasse mes devoirs, que j'organise ma journée du lendemain, et seulement après ça, je pourrais enfin aller dormir.

 

J'ai à peine assez d'énergie pour atteindre mon lit, il est 21h30.

 

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Voilà une journée typique, lorsque j'ai cours. Mais toute ma vie se déroule de la même manière. Je dois toujours penser à tout, me concentrer, filtrer le bruit, les lumières. Je dois souvent choisir où je dépense mon énergie, car je ne peux pas tout faire : si je vais faire les courses, je ne pourrais pas aller au cinéma le soir. Si je vais surfer, je ne pourrais pas aller voir un concert. Je dois constamment choisir, pour pouvoir survivre. Faire les courses, aller voir un match de foot, sortir avec des amis... tout cela me demande une énergie considérable, que tu ne soupçonnes sans doute même pas.

 

Oui, j'ai l'air fatiguée, car je suis épuisée.

 



26/10/2016
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